arts de la convivialité : récipients, cuillers et coupes

cuillers

On pourrait penser que les Africains mangeaient généralement avec les doigts de leur main droite. Mais il existe depuis très longtemps pour ainsi dire un art de la cuiller dans lequel on trouve une très grande quantité avec des sculptures extrêmement abouties. Leur emploi correspondaient à des situations précises et n'était pas courant. Les premières pourraient avoir été, dès le XIVe siècle, de petites cuillers rondes en bronze, utilisées au Mali uniquement pour puiser la poudre d'or.

Chez les Dan et les We de Côte d'Ivoire, de grands cuillers étaient - et sont encore – utilisées lors des fêtes. Elles confirment l'autorité d'une femme du village connue pour son hospitalité. C'est elle qui, à la demande d'un chef du village, a la charge d'organiser les repas festifs. La grande cuiller wakenia est l'insigne qui consacre son mérite et matérialise la reconnaissance des villageois. La femme s'en sert pour distribuer le riz et la viande, elle parade avec, entourée de ses assistantes, elle le brandit au cours de la « danse de la femme hospitalière ».

La forme et la décoration sculptée de la cuiller wakenia varient largement. Le cuilleron lui-même s'incurve doucement comme le corps féminin, source de fécondité. Rempli de riz, il est ventre et promesse d'enfant. Parfois il se dédouble, à l'image des seins nourriciers. Le manche, insensiblement, devient sculpture. Si celle-ci est zoomorphe, c'est souvent une tête de mouton ou de cabri qui apparaît. Mais elle peut aussi être anthropomorphe, figurant une tête féminine ou des jambes.

La liaison entre les cuillers sculptées et les actes rituels se retrouve chez les Senoufo, qui utilisent des louches rondes pour servir de la bière de mil aux nouveaux initiés de la société secrètes du poro.

Dans de nombreuses autres ethnies, la destination change. Des cuillers de taille plus réduite n'ont pas de rôle cérémoniel mais, comme tout objet raffiné, contribuent à affirmer le statut social élevé de leur propriétaire. Chez les Baule, le message était parfaitement compris par un peuple attaché à l'esthétique de la forme sculptée. Nul ne pouvait rester insensible à l'admirable sinuosité de cet objet, à la douceur de sa surface, à la fluidité de ses lignes qui ont permis au sculpteur de fondre les différentes parties, sans heurt, en une entité plastique unique.

Ce sont également des sculpteurs baule qui ont créé des objets exceptionnels pour l'Afrique, des fourchettes, prouvant qu'il pouvait y avoir, en pays baule, un art dégagé de toute assise religieuse, un art apprécié pour lui-même.

En Afrique du Sud, les Zulu ont conçu des cuillers dans lesquelles le corps féminin tout entier est transmué en une épure rigoureuse, qui n'empêchait pas ce genre d'objet de jouer un rôle pratique. De la stylisation de la cuiller zulu à l'abstraction il n'y a qu'un pas, très souvent franchi par tous les sculpteurs qui ont eu recours à une ornementation géométrique, motifs savants, entrelacs indéfiniment poursuivis par exemple sur une cuiller boni de Somalie, dont les volumes, équilibrés avec art, restaient parfaitement fonctionnels.

Bien que le bois soit l'élément majeur d'utilisation, d'autres mat!ères ont été employées : cuillers en laiton destinées à la poudre d'or au Mali, ou des cuillers en ivoire chez les Akan du Ghana.

Qu'elles soient figuratives ou de forme géométrique, toutes ces cuillers, exécutées avec autant de soin que les statuettes, reflètent le style habituel des sculptures et des masques de chaque ethnie. La tâche de l'artisan, qui consistait à unir en un tout harmonieux deux éléments aussi disparates qu'une cuilleron et une sculpture, n'était pas aisée. Il y arrivait en utilisant généralement comme élément de transition le manche de la cuiller, ce qui sauvegarde l'équilibre de l'ensemble, sa nécessaire fluidité, tout en mettant l'accent sur la sculpture qui focalise le regard.

récipients